Addiction au sucre : Entretien avec Docteur Essoreke Tchaou, Nutritionniste-Diététicien
- Posted on 18/03/2024 09:26
- Film
- By abelozih@sante-education.tg
Extrait de l'article: Le nutritionniste-Diététicien Essoreke Tchaou martèle que l’abondance de produits très riches en sucres ajoutés expose l’organisme à un risque réel d’addiction. Le sucre rend-il addict comme pourraient le faire les drogues ? Que se passe-t-il dans le
« Attention, le sucre présente un potentiel addictif aussi important que l’alcool ou la cocaïne »
Le nutritionniste-diététicien
Essoreke Tchaou martèle que l’abondance de produits très riches en sucres
ajoutés expose l’organisme à un risque réel d’addiction. Le sucre
rend-il addict comme pourraient le faire les drogues ? Que se passe-t-il dans
le cerveau lorsqu’on en consomme ?
Santé-Education : Peut-on
parler de dépendance au sucre comme à une drogue ?
Dr Essoreke Tchaou: Absolument.
Il faut rappeler ce que sont les deux sortes d’addiction, l’une avec substance,
et l’autre sens, c’est-à-dire comportementale - comme l’addiction aux jeux
vidéo, les achats compulsifs, etc. Dans les deux cas, l’élément central
concerne la perte de contrôle de soi, qu’il s’agit d’identifier en fonction
d’une série de critères diagnostiques.
Par exemple, le désir impérieux, irrépressible et
intrusif de consommer une substance. Ou bien le désir ou les efforts
persistants pour mettre un terme à une consommation ou pour la limiter - un
critère très souvent présent. Ou encore le fait de consommer plus que voulu :
par exemple, pour l’alcool, c’est la personne disant qu’elle va boire un ou
deux verres, et qui descend finalement deux à trois bouteilles. Pour en revenir
au sucre, on coche tous ces critères.
Le sucre
influence les circuits cérébraux de récompense d’une manière similaire à celle
observée lors de la consommation de drogues. Après seulement 12 jours de
consommation de sucre, nous pouvons constater des changements majeurs dans les
systèmes dopaminergiques et opioïdes du cerveau. En fait, le système opioïde,
qui est la partie du cerveau associée au bien-être et au plaisir, était déjà
activée dès la première prise.
En quoi l’addiction au sucre se
distingue-t-elle d’autres types d’addiction ?
La différence tient justement aux critères diagnostiques : plus ils sont nombreux, plus la dépendance est prononcée. On juge qu’une addiction est faible quand elle coche de deux à trois critères, modérée de quatre à cinq critères, et sévère quand six critères et davantage sont présents. Pour le sucre, de même que pour l’alcool ou le tabac, la majorité des personnes affectées présentent une addiction modérée. La question du sevrage est un élément important : se passer de sucre est sans commune mesure avec le sevrage à l’alcool ou aux opiacés, mais cela peut varier selon les individus.
Et surtout, nos études et beaucoup d’autres ont montré
et alerté : attention le sucre présente un potentiel addictif aussi
important que celui des drogues les plus addictives chez l’homme entre autres alcool,
cocaïne, héroïne, méthamphétamine. On sait maintenant que la consommation
chronique et prolongée de sucre entraîne, comme pour d’autres drogues, des
modifications biologiques durables dans le cerveau.
Comment a-t-on compris que le sucre
était une substance problématique ?
La prise de conscience du problème date d’une petite
dizaine d’années. On a constaté que l’épidémie d’obésité était liée à un
changement radical de l’environnement alimentaire, avec l’abondance de produits
industriels riches en sucres ajoutés, y compris les sodas. Et l’on a, alors,
suspecté une perte de contrôle addictive chez une partie des surconsommateurs
de sucre. Avec plusieurs pistes pour l’expliquer.
Dans la nature, où a évolué notre espèce humaine, on trouve des fruits qui contiennent peu de sucre, alors que l’industrie permet de fabriquer des produits très concentrés. Notre organisme n’est pas préparé à ces fortes doses, et l’on peut faire un parallèle avec l’émergence de l’alcoolisme, qui date de l’invention des alcools forts, ou bien l’addiction à la cocaïne, absente au temps de la consommation des feuilles de coca.
De plus, notre organisme n’est pas apte à métaboliser
de façon optimale le sucre sous forme liquide, celui proposé dans les produits
de l’industrie agroalimentaire. Enfin, il n’y a pas de « gras et sucré » dans
la nature. Or, cette association crée un stimulus gustatif puissant : une étude
de neuro-imagerie vient d’ailleurs de montrer que le sucre couplé à du gras
amplifie le signal d’activation du circuit de la récompense dans notre cerveau.
Propos recueillis par Abel OZIH